(Z 10169/16/0) EM No. 554 8 Lettre du General Doyen a lfAmiral Parian* 16th juillet 1941. Au moment de quitter la Delegation francaise de Wiesbaden, je crois utile de resumer les impressions recueillies au cours de ma mission et de chercher a la luraiere d'une experience de dix mois a porter un jugement sur notre situation presente: L'Alleraagne nous a battus. Slle nous a d^sarra^s; elle a apporte" a ce desarmement une h&te et une Sprete inconnues au vainrtunisme passa^er le Chancelier reste fidele aux idees fondamentales exposees dans son livre. Or, 1'e'cra6eraent definitif de la France, sa raise en tutelle, 1'lmpos6ibilite pour l'Allemagne d'admettre l'existence d'une seconde puissance militaire sur le continent sont les themes qui viennent le plus frequemment sous la plume de l'auteur de "Mein Karapf". A ces themes s'allie la pensee des Hitl^riens, la doctrine dont Rosenberg s'est fait le protagoniste; le theoriciens du partie estirae que la decadence de la Vrance depuis le XVlle siecle est due a la predominance progressive dans notre population de 1'Element mediterranean sur les elh- ents francs et nordiques, qui constituaient la nobleese de 1'Ancien Regime. /De De nombreux collaborateurs du chancelier estiment qu 11 convient, en depouillant la Prance de ses provinces du nord et de l'est, en deplacant ainsi de plus en plus son centre de gravite vers le sucl, de precipiter cette evolution jusqu'a faire de notre pays une nation essentiellement m^diterran^enne, comparable par son caractere, ses reactions, son incapacity a toat effort continu et efficace, a l'ltalie ou a l'Espagne. Les Allemands ont enfin toujours estimo que les engagements internationaux ne font qu'expriraer le rapport de forces entre leurs signataires a un moment donne*. Ce rapport vient-il a changer, cet equilibre se trouve-t-il modified les accords conclus deviennent du mtaft temps caducs. Cette conception juridique, deja familiere a 1'ancienne Allemagne a recu la consecration officielle du nouveau pouvoir hitlerien. 11 est a craindre que les engagements pris par le Reich tant que notre assistance lui est necessaire, soient oublie3 par lui le jour ou il n'aura plus qu*a jouir de sa victoire. En attendant, l'Allemagne cherche a nous lier itroitement a son sort. Elle espere que la croisade contre la Russie sovietioue lui permettra de grouper tous les peuples europe'ens a ses cote's, deciders l'Espagne hesitante et provoquera en Prance un renversement d'opinion; le Chancelier Hitler r^peterait volontiers aux nations e*trangeres ce qu'il declarait &&}a9 il y a quelque6 annSes: "Je ne me laisserai pas supprimer sans vous entrainer tous dans ma chute. Jo provoquerai, plutOt que de disparaitre, une^catastrophe europ^enne sans precedent; vous avez done interfit a me soutenir". Cette campagne nouvelle engage le Reich dans des entreprises plus aventureuses. Apres la guerre en Afrique, 1'occupation de la Roumanie et de la Bulgarie, l'^crasement de la Yougoslavie, la soumission de la^Grece,^le debarquement en Crete, le desir d'aneantir la derniere armee subslstant sur le continent, vient de pousser l'Allemagne a une expedition de Russie dont on apercoit mal quelles seront les limite3« Les Elements les plus hardis et les plus audacieux du Parti menent le jeu dans un moment ou les SS. revStus aujourd'hui de l'uniforme gris de fer, non seulement assurent les services de la police, mais opSrent le tri et la repartition des Allemands repatries, contrSlent JfNrJ la politique raciste du Grand Reich? dirigent la lutte contre le cominunisme dans tout l'est europeen, adminlstrent le Gouvernement General de laPologne, 1'ancienne Posnanie, la Yougoslavie demembre'e, assistent de leur conseil les autorit£s hongroises, roumaine3 et bulgares et constituent au sein de la v/ehrmaoht une arm£e de metier servant a long terme et dans laquelle toutes les sp^cialit^s se trouvent repesent£es. On serait tente d'appliquer au llle Reich le mot d'un de nos historiens sur le Saint-Empire, "qu'il ne peut conserver son Iquilibre que tant qu'il est occupe* a des expeditions contre 1'Stranger". /Si Si 1c llle Reich remporte en Russie des succes strategiques certains, le tour pris per les operations ne re"pond pas neanmoins a I'idle nue s'en 6toient fois sec dirigeants. Ceux-ci n'avaient pas prevu une resistance aussi farouche du soldot russe, un fanatisme aussi passionne de la population, une guerrilla aussi epuisante et sur les arrieres des pertes aussi serieusus, un vide aussi complet devant 1*envohisseur, des difficultes aussi considerables de ravitaillement et de communications. Les batailles gigante^ques de tanks et d'avions, la necessite, en 1' absence de 've^ons b ecartei..ent convenable, d1 assurer par des routes defoncees des transports de plusieurs centaines 'de kilometres, entrainent, pour 1'armee allen.ande, une usure de materiel et une depense d1essence qui risouent de diminuer daiv ureusement ses stocks irremplacables de carburant et ae caoutchouc. Nous savons cue l'E.U. alleinand a constitue trois mois de reserve essence. II faut qu'une cemDsgne de trois mois lui permette ae r^duire § merci le comL.unisme sovietique, de retablir I'ordre en Russie sous un regime nouveau, de remettre en exploitation toutes les richesses naturelles du pays et, en particulier, les gisements du Caucase. Cependant, sons souci de sa nourriture de detain, le Russe incendie au lance-flakes ses r§coltes, fsit sauter ses villages, detruit son materiel roulant, snbote ses exploitations. L'Allemogne ne peut supporter le feraeau ecrasant d*administrer, de reorganiser 1*Europe que si elle trouve le concours des ^ouvernements responsobles et des outo rite's constitutes. Des i-aintenant, se font sentir chez elle le manque de main d'oeuvre et le manque des cadres; la charge de la Russie se Joignant a celle de la Pologne, de la Korvege. de la Hollande, de^lo 3elgique, de la France, pour ne rien dire de 1*Autriche, de la Boheme, de I'lt&lie, des Balkans, risque de 1'epuiser. C'est pourouoi la collaboration franchise qui lui permet d'utiliser un corps de fonctionneires dont elle appr&cie la valeur, lui est d'un soulagement si pre'cieux. T,a conscience de cette tache surhumaine provoque dons le peuple allemand une inquietude confuse. L1annonee de choque campagne nouvelle, aujourd'hui la Russie, hier les Balkans, y est accueillie avec consternation, cue les troupes allemandes rariportent dos succes ropides et eclatents, cet abbotemont se'ehangera bientdt en la fierte du triomphe. rais que la champagne vienne a durer, le decouragement s'emparera bientfit des masses aesabusees, car le public se rend compte qu'apres l'ennerai sovietique, viendra l'ennemi americain et cette perspective le trouble. ^11 a retire de la^ guerre monaiale la conviction que seule l'Amerique a pu venir a bout de la puissance du lie Reich, que les erfort3 des Allies n1auraient pas surfi a^abattre. Si la confiance que 80 millions d'Allemands n'ont rien a craindre de 40 millions de Francai3, une victoire definitive sur 150 millions de^slaves et 200 millions d1Anglo- Saxons paralt a beaucoup problematique. II ne manque pas,^en effet, d'esprits en Allemegne qui doutent des maintenant au succes final. II n1 en manque pas non plus qui ne le souhaitent pas. "Pourvu que cela dure", pensent lee sympathisants en songeant a l'avenir. "pourvu que ce^la ne dure pas", souhaitent tant de mtcontents qui cachent sous la chemise brune leurs sentiments veritables. Le nandement episcopal de Pulds, lu recement dans toutes les eglises du Reich a fait eclater en terrnes cote'goriques l'hostilite au Parti des milieux catholique3. Ceux-ci ne peuvent approuver une evolution sociale et politique qui exclut I'Kglise de I'e'cole et de la famille, place tous les etablissements d'inatruction dons la/ 1 la dependence ues fonctionnaires nationaux-socialistes, souinet lee jeuner, filles a une conscription et b un service obligatoire analogue b celui ues jeunes gens. La militarisation croissante du Grand Reich, sa "prussianisation" excede dans les pays annexes comme I'Autriche, les classes mfimes de la population qui ont jedis fourni au mouvement nazi ses partisans les plus violents et les plus convaincus. On cherche, il est vrai, et l'on parvient, souvent a surmonter les mecontentements, a calmer les inquietudes, a vaincre les resistances par l'appgt de satisfactions materielles, par 1!Elevation du niveau de vie. la raison pourquoi 1'exploitation des pays conquis est devenue pour le regime une ne"ce£-sit6. I'aie dut-elle reussir dans tous ses plans militaires, l'Mlenagne n'aurait pas encore gagne1 la pnrtie. II lui faut r6a lister cette reorganisation du continent qu'elle a entreprise. 3t l'on est fonde" a oe defender si elle pourra y rSussir. Du point de vue politique, la constitution autour du TCeich d'une ceinture d'Etats vsssaux plus ou moins soumis directem.ent a son influence: Bogeme, Slovaquie, Kongrie, Oroatle, Gouvernement Ge'nSral de Pologne, ne semble guere representer une garantie de stabilite. Du point de vue economique, l1 isolement de 1' Europe dans un regime autsrcique, la generalisation d'un etatisine, dont le Reich commence a sentir lui-mSme les inconvenients, la predominance donnle aux preoccupations racistes et au facteur politique font doutei- du caractere viable des formules preconisees par les Hitleriens. A mesure que le temps passe et que s'etendent les visles du gouvernement du Reich, la carte allemande apparalt done comme moins sure. E>ans doute, serons-nous contraints, dans les mois a venir, b perseverer dens la voie ou nous nous somr;:es engages. Sans doute, cette voie e'tait-elle la seule qui nous restSt ouverte. Sans doute, notre choix etait-il dicte par une dure necessity. Mais ij'estiiae que dans la poursuite d'une telle politigue, nous devons prendre toutes les precautions desirables pour ecarter de nouveaux risquec- et ne pas compromettre, en face d'un avenir certain, les chances et la liberte d'action de notre pays. Nous ne devons surtout pas perdre de vue que l1 Amerique reste le grand arbitre d'eujourd'hui et de demain et qu!il est pour nous d'un int^ret vital de ne pas nous eliener ses sympathies. Deja les U.S.A. sont partis seuls vainqueurs de la guerre de 1918. lie en sortiront plus encore du conflict actuel. Leur puissance economique, leur haute civilisation, le chiffre de leur population, leur influence croissante sur tous les continents, 1'Affaiblisse- deja a l'appui militaire et diplonfltioue du gouverne; ent de V/^shington que nou3 avons du de recouvrer en 1018 nos provinces perdues. P-eule, l'^merinue peut nous retablir denain dans notre integrite metropolitaine dont depend l'nvenir de notre peuple et la survivance d'une France qui soit veritablement europenne et non pas uniquement me'diterraneene ou ofricaine. i